p.138 Par 1 Il faut se rendre à l'évidence; les pianistes ont tué ou converti jusqu'au dernier les adversaires du piano, ce pauvre instrument si calomnié, malgré son mérite incontestable; sans cela comment aurait pu s'établir la mode actuelle de donner des séries de concerts, entièrement exécutés au piano par le bénéficiaire tout seul!
Par 2 De Bach à Rubinstein et de Haydn à Liszt, on fait faire le tour du monde de la musique de piano à l'auditoire qui, loin de s'en plaindre, bisse, par surcroît, l'un des 12 ou 18 morceaux du programme.
Par 3 M. Wladimir de Pachmann en a fourni la preuve samedi soir [Saturday 29 April 1882], chez Erard; l'assemblée a bissé une étude de Chopin, et il en a recommencé une autre de lui-même; le fait est positif.
Par 4 Il est vrai que M. de Pachmann pousse jusqu'à la perfection le mécanisme du piano; il sait manier un Erard, ce qui est beaucoup dire; — si puissante que soit son attaque, elle n'est jamais dure; si détaillé que soit son jeu, il n'est jamais sec. Il a joué délicieusement ce chef-d'oeuvre, l'impromptu, oeuvre 30[90] n. 4 de Schubert, une Polonaise de Chopin, la Mélancolie de Rubinstein, qui commence comme une romance sans paroles de Mendelssohn et qui finit à cette hauteur; une belle étude de Liszt. Le jeu de M. Pachmann est d'une finesse et d'un pureté extrèmes, il marivaude [= performs light-hearted gallantries] sur le piano, litéralement; mais pourquoi a-t-il fini son concert par dérangement de l'invitation à la valse, de Weber, par Tausig? Enjoliver cet immortel chef-d'ouuvre, c'est le gâter; à part cela, M. de Pachmann a été fort applaudi et méritait de l'être; c'est un pianiste remarquable.