p.138
Par 1
Il faut se rendre à l'évidence; les pianistes ont tué ou converti
jusqu'au dernier les adversaires du piano, ce pauvre instrument si calomnié,
malgré son mérite incontestable; sans cela comment aurait pu s'établir la
mode actuelle de donner des séries de concerts, entièrement exécutés au piano
par le bénéficiaire tout seul!
Par 2
De Bach à Rubinstein et de Haydn à Liszt, on fait faire le tour du monde
de la musique de piano à l'auditoire qui, loin de s'en plaindre, bisse, par
surcroît, l'un des 12 ou 18 morceaux du programme.
Par 3
M. Wladimir de Pachmann en a fourni la preuve samedi soir , chez Erard;
l'assemblée a bissé une étude de Chopin, et il en a recommencé une
autre de lui-même; le fait est positif.
Par 4
Il est vrai que M. de Pachmann pousse jusqu'à la perfection le mécanisme
du piano; il sait manier un Erard, ce qui est beaucoup dire; — si
puissante que soit son attaque, elle n'est jamais dure; si détaillé que
soit son jeu, il n'est jamais sec. Il a joué délicieusement ce chef-d'oeuvre,
l'impromptu, oeuvre 30 n. 4 de Schubert, une Polonaise de Chopin, la
Mélancolie de Rubinstein, qui commence comme une romance sans paroles
de Mendelssohn et qui finit à cette hauteur; une belle étude de Liszt.
Le jeu de M. Pachmann est d'une finesse et d'un pureté extrèmes,
il marivaude sur le piano, litéralement; mais pourquoi a-t-il fini
son concert par dérangement de l'invitation à la valse, de Weber, par
Tausig? Enjoliver cet immortel chef-d'ouuvre, c'est le gâter;
à part cela, M. de Pachmann a été fort applaudi et méritait
de l'être; c'est un pianiste remarquable.